Les obligations de reporting environnemental des entreprises : enjeux et perspectives

Face à l’urgence climatique, les entreprises sont de plus en plus tenues de rendre des comptes sur leur impact environnemental. Le reporting environnemental s’impose progressivement comme une obligation légale et une attente forte des parties prenantes. Cet encadrement croissant vise à responsabiliser les acteurs économiques et à orienter leurs activités vers des modèles plus durables. Quelles sont les exigences actuelles en matière de reporting environnemental ? Comment les entreprises peuvent-elles s’y conformer efficacement ? Quels sont les défis et opportunités liés à cette nouvelle donne ?

Le cadre réglementaire du reporting environnemental

Le reporting environnemental des entreprises s’inscrit dans un cadre réglementaire de plus en plus contraignant, tant au niveau national qu’international. En France, la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) de 2001 a posé les premières bases en imposant aux sociétés cotées de publier des informations sur les conséquences environnementales de leurs activités. Ce dispositif a ensuite été renforcé et élargi par plusieurs textes successifs :

  • La loi Grenelle II de 2010 et son décret d’application de 2012 ont étendu l’obligation de reporting extra-financier à toutes les entreprises de plus de 500 salariés
  • L’ordonnance du 19 juillet 2017 a transposé la directive européenne sur le reporting extra-financier, instaurant la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF)
  • La loi PACTE de 2019 a introduit la notion de raison d’être et le statut d’entreprise à mission

Au niveau européen, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) adoptée en 2022 va considérablement renforcer les exigences de reporting dès 2024. Elle concernera près de 50 000 entreprises en Europe et imposera des standards communs de reporting, avec une obligation de vérification par un tiers indépendant.

Sur le plan international, plusieurs référentiels volontaires se sont imposés comme des standards de fait, à l’instar du CDP (Carbon Disclosure Project) ou de la GRI (Global Reporting Initiative). La TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures) fournit quant à elle un cadre de reporting spécifique aux enjeux climatiques, de plus en plus utilisé par les entreprises et les investisseurs.

Ce foisonnement réglementaire témoigne de l’importance croissante accordée à la transparence environnementale des entreprises. Il pose néanmoins des défis en termes d’harmonisation et de comparabilité des informations publiées.

Les informations environnementales à publier

Le reporting environnemental couvre un large spectre d’informations relatives à l’impact des activités de l’entreprise sur l’environnement. Les principales thématiques à aborder sont :

Changement climatique

C’est l’enjeu environnemental le plus scruté actuellement. Les entreprises doivent communiquer sur :

  • Leurs émissions de gaz à effet de serre, directes (scope 1) et indirectes (scopes 2 et 3)
  • Leur stratégie climat : objectifs de réduction, initiatives mises en place, scénarios d’alignement avec l’Accord de Paris
  • Les risques et opportunités liés au changement climatique pour leur activité

Biodiversité

Un sujet de plus en plus prégnant, avec des attentes croissantes sur :

  • L’impact des activités sur les écosystèmes et la biodiversité
  • Les mesures de préservation et de restauration mises en œuvre
  • Les dépendances de l’entreprise vis-à-vis des services écosystémiques

Économie circulaire et gestion des ressources

Les entreprises doivent rendre compte de :

  • Leur consommation de matières premières, d’eau et d’énergie
  • Leurs actions en faveur du recyclage et de la valorisation des déchets
  • Leurs initiatives d’écoconception et d’allongement de la durée de vie des produits

Pollution et nuisances

Il s’agit de communiquer sur :

  • Les rejets dans l’air, l’eau et les sols
  • La gestion des substances dangereuses
  • Les nuisances sonores, olfactives, etc.

Au-delà de ces thématiques, les entreprises doivent également présenter leur politique environnementale globale, leur système de management environnemental, ainsi que les moyens consacrés à la prévention des risques environnementaux.

La collecte et l’analyse de ces données représentent un défi majeur pour de nombreuses entreprises, en particulier pour appréhender l’ensemble de leur chaîne de valeur (scope 3). Cela nécessite la mise en place de processus robustes et d’outils adaptés.

Les enjeux méthodologiques du reporting environnemental

La réalisation d’un reporting environnemental de qualité soulève plusieurs enjeux méthodologiques que les entreprises doivent adresser :

Périmètre et matérialité

La première étape consiste à définir le périmètre du reporting, qui doit idéalement couvrir l’ensemble des activités et filiales de l’entreprise. Il faut ensuite identifier les enjeux matériels, c’est-à-dire les plus pertinents au regard des impacts de l’entreprise et des attentes des parties prenantes. Cette analyse de matérialité permet de hiérarchiser les sujets à traiter en priorité.

Collecte et fiabilisation des données

La collecte des données environnementales est souvent complexe, en particulier pour les grands groupes avec de multiples sites et filiales. Elle nécessite la mise en place de processus structurés et d’outils dédiés (logiciels de reporting RSE). Un travail important de fiabilisation et de vérification des données est nécessaire pour garantir leur exactitude et leur exhaustivité.

Choix des indicateurs et méthodologies de calcul

Le choix des indicateurs clés de performance (KPI) est crucial pour assurer la pertinence et la comparabilité du reporting. Les entreprises doivent s’appuyer sur des référentiels reconnus (GRI, SASB, etc.) et expliciter clairement leurs méthodologies de calcul. Pour le bilan carbone par exemple, plusieurs méthodes coexistent (GHG Protocol, Bilan Carbone®, etc.) avec des périmètres et des facteurs d’émission qui peuvent varier.

Analyse des résultats et fixation d’objectifs

Au-delà de la simple publication de données brutes, les entreprises doivent fournir une analyse qualitative de leurs performances environnementales. Cela passe par l’explication des variations observées, la mise en perspective par rapport au secteur, et surtout la fixation d’objectifs chiffrés de progrès à moyen et long terme.

Vérification externe

La vérification des informations environnementales par un tiers indépendant (organisme tiers indépendant – OTI) est de plus en plus exigée, notamment dans le cadre de la DPEF en France. Elle apporte une garantie supplémentaire sur la fiabilité et la sincérité des informations publiées.

Ces enjeux méthodologiques appellent une professionnalisation accrue de la fonction reporting environnemental au sein des entreprises. De nombreuses organisations font ainsi appel à des experts externes pour les accompagner dans cette démarche.

Les bénéfices d’un reporting environnemental de qualité

Si le reporting environnemental est d’abord une obligation réglementaire, il peut aussi apporter de nombreux bénéfices aux entreprises qui s’en saisissent comme un véritable outil de pilotage et de transformation :

Amélioration de la performance environnementale

Le reporting permet d’identifier les principaux impacts environnementaux de l’entreprise et de suivre leur évolution dans le temps. C’est un levier puissant pour définir des plans d’action ciblés et mesurer les progrès réalisés. Il favorise une prise de conscience à tous les niveaux de l’organisation et peut stimuler l’innovation pour réduire l’empreinte écologique.

Maîtrise des risques

En cartographiant ses impacts et dépendances vis-à-vis de l’environnement, l’entreprise est mieux à même d’anticiper les risques liés aux enjeux écologiques : risques physiques (événements climatiques extrêmes, raréfaction des ressources…), risques de transition (évolutions réglementaires, taxation carbone…), risques de réputation. Le reporting environnemental s’inscrit ainsi dans une démarche plus large de gestion des risques extra-financiers.

Réponse aux attentes des parties prenantes

Un reporting transparent et de qualité permet de répondre aux attentes croissantes des investisseurs, qui intègrent de plus en plus les critères ESG dans leurs décisions. Il satisfait également les demandes des clients, des ONG et de la société civile en général, de plus en plus sensibles aux enjeux environnementaux. C’est un moyen de renforcer la confiance et la légitimité de l’entreprise auprès de son écosystème.

Avantage concurrentiel

Les entreprises les plus avancées en matière de reporting et de performance environnementale peuvent en tirer un avantage compétitif. Elles sont mieux positionnées pour répondre aux appels d’offres intégrant des critères environnementaux, pour attirer et fidéliser les talents, ou encore pour accéder à certains financements verts.

Préparation aux futures réglementations

Face au renforcement prévisible des exigences réglementaires (taxonomie verte européenne, reporting biodiversité…), les entreprises qui ont déjà mis en place un reporting environnemental robuste seront mieux préparées. Elles pourront plus facilement s’adapter aux nouvelles obligations et éviter les risques de non-conformité.

Pour tirer pleinement parti de ces bénéfices, le reporting environnemental ne doit pas être vu comme un simple exercice de conformité, mais comme un véritable outil de pilotage stratégique au service de la transformation de l’entreprise.

Perspectives et évolutions du reporting environnemental

Le reporting environnemental des entreprises est appelé à connaître des évolutions majeures dans les années à venir, sous l’effet conjugué des avancées réglementaires, des attentes sociétales et des progrès technologiques.

Vers une standardisation accrue

L’un des enjeux majeurs est d’aboutir à une plus grande harmonisation des pratiques de reporting au niveau international. La création de l’ISSB (International Sustainability Standards Board) en 2021 vise précisément à élaborer des normes mondiales de reporting extra-financier. En parallèle, l’Union européenne développe ses propres standards dans le cadre de la directive CSRD. La convergence de ces initiatives sera cruciale pour assurer la comparabilité des informations publiées par les entreprises.

Intégration croissante avec le reporting financier

La frontière entre reporting financier et extra-financier tend à s’estomper, avec une intégration croissante des enjeux environnementaux dans la communication financière des entreprises. Cette tendance devrait s’accentuer, notamment sous l’impulsion des investisseurs qui exigent une vision globale de la performance et des risques. Le développement du reporting intégré et la généralisation de l’information extra-financière dans les documents d’enregistrement universel en sont des illustrations.

Montée en puissance du reporting biodiversité

Si le climat a longtemps monopolisé l’attention, la biodiversité s’impose comme le prochain grand sujet du reporting environnemental. Les travaux de la TNFD (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures) devraient aboutir à un cadre de reporting spécifique, à l’instar de ce qu’a fait la TCFD pour le climat. Les entreprises devront développer de nouvelles compétences et méthodologies pour appréhender leurs impacts et dépendances vis-à-vis du vivant.

Digitalisation et automatisation

Les outils numériques vont jouer un rôle croissant dans la collecte, l’analyse et la publication des données environnementales. L’intelligence artificielle et le big data ouvrent de nouvelles possibilités pour traiter des volumes importants de données et identifier des corrélations complexes. La blockchain pourrait quant à elle renforcer la traçabilité et la fiabilité des informations publiées.

Vers un reporting en temps réel ?

À plus long terme, on peut imaginer une évolution vers un reporting environnemental en temps réel ou quasi-réel. Plutôt qu’une publication annuelle, les parties prenantes pourraient avoir accès à des tableaux de bord actualisés en permanence, offrant une vision dynamique de la performance environnementale de l’entreprise. Cela nécessiterait une refonte profonde des processus de collecte et de validation des données.

Élargissement du périmètre

Le périmètre du reporting environnemental devrait continuer à s’élargir, avec une prise en compte toujours plus fine de l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise. L’accent sera mis notamment sur le scope 3 des émissions de gaz à effet de serre, qui représente souvent la part la plus importante de l’empreinte carbone. Les PME, jusqu’ici largement épargnées par les obligations de reporting, pourraient être progressivement intégrées dans le dispositif, notamment via les exigences de leurs donneurs d’ordre.

Ces évolutions dessinent un avenir où le reporting environnemental sera plus standardisé, plus intégré, plus complet et plus dynamique. Les entreprises devront anticiper ces changements pour adapter leurs processus et leurs compétences, et faire de ce reporting un véritable outil de pilotage de leur transition écologique.